- LIVRES DE MODÈLES
- LIVRES DE MODÈLESLIVRES DE MODÈLESLes livres de modèles sont des recueils de dessins d’un même artiste, reliés à l’origine, et conservés dans son atelier pour son propre usage (savoir-faire capitalisé, répertoire de motifs à sa disposition, exemples de figures à présenter à un commanditaire) et pour la formation de ses apprentis qui les copient pour s’exercer la main. Les plus anciens qui aient été conservés datent de la fin du Moyen Âge, comme ces cinquante-six petits modèles dessinés sur papier et contenus dans un étui de cuir, d’un peintre bohémien du XVe siècle (Kunsthistorisches Museum, Vienne). Ces dessins sont d’une exécution soignée, à la pointe de métal, ou préparés à la pierre noire et repassés à la plume, parfois rehaussés de lavis ou d’aquarelle, et les formes, parfaitement définies, semblent le fruit d’une patiente élaboration antérieure. Résolus, limpides, définitifs, isolés dans la page vierge de parchemin ou de papier, ils sont conçus pour être reproduits indéfiniment. Les motifs reflètent à la fois les sujets que le peintre a coutume de traiter pour sa clientèle et ses curiosités personnelles. À la fin de l’époque médiévale, ils recouvrent des domaines très divers: plans ou détails d’édifices, motifs ornementaux, compositions schématiques d’hommes et d’animaux, comme l’album de Villard de Honnecourt vers le milieu du XIIIe siècle. Au fil des siècles, ces répertoires tendent à se spécialiser. Aux XIVe-XVe siècles, le terme «ouvrage de Lombardie» désigne des ensembles de dessins détaillés et fidèles d’animaux, d’oiseaux, typiques du mélange de naturalisme et de stylisation élégante du gothique international (carnet de Giovannino de’ Grassi à la bibliothèque de Bergame). Le volume de dessins de Pisanello, conservé au Louvre (Codex Vallardi ) et qui comporte des modèles de chevaux, cerfs, chiens, costumes employés dans sa fresque de Saint Georges et la princesse à Sant’ Anastasia de Vérone, en constitue l’exemple le plus justement célèbre. À Venise, Jacopo Bellini composa vers le milieu du XVe siècle deux volumes de dessins remarquables, pour la plupart des compositions sacrées, riches et détaillées, situées dans des paysages lyriques ou dans d’étranges édifices aux effets de perspective emphatiques (Louvre et British Museum). À Colmar, dans l’atelier de Martin Schongauer, les élèves ont reproduit les têtes d’Orientaux et de jeunes filles de son album de modèles (Musterbüchlein ). À la même époque, dans les ateliers florentins, le thème privilégié de ces recueils est la figure humaine dans une multitude d’attitudes dynamiques (contrapposti ) et expressives (atti affezionati ), des têtes, des nus, des scènes religieuses (carnet de l’atelier de Benozzo Gozzoli au Victoria and Albert Museum de Londres et feuilles, aujourd’hui dispersées, de Botticelli et de Filippino Lippi). Dès la fin du XVe et au XVIe siècle, le contenu des carnets évolue, ils deviennent des recueils de relevés d’après l’antique (fragments d’architecture, peintures et stucs à motifs de grotesques, statues ou reliefs de sarcophages, bustes ou autels sacrificiels), comme le Codex Escurialensis de l’atelier de Ghirlandaio, l’album de Pierre Jacques (Bibliothèque nationale, Paris), le livre d’Antonio da Sangallo (Bibliothèque vaticane, Rome) ou les volumes d’Amico Aspertini de Bologne, de Girolamo da Carpi, de Pirro Ligorio.Parallèlement à ces compilations archéologiques apparaissent des carnets d’observations et d’inventions plus spontanées, où la technique d’exécution comme la finalité se transforment. L’on passe du volume, constitué de façon immuable, de patrons à reproduire (Musterbuch en allemand, pattern-book en anglais) au carnet d’études faites sur le vif et de notations de voyage (Skizzenbuch , sketch-book ); matériaux bruts qui seront repris pour donner naissance à une œuvre originale. Cette évolution correspond à une nouvelle attitude à l’égard du dessin. Sous l’influence d’artistes comme Léonard de Vinci, dont les «carnets» comportent souvent sur un même feuillet des études très diverses, tracées et disposées avec peu de soin, le dessin devient ce qui doit «éveiller l’esprit» (destare l’ingegno ), et il convient de lui conserver un caractère fluide et suggestif. Si le jeune Raphaël a encore composé son carnet de motifs lors de son apprentissage (Accademia, Venise), plus tard, il rangera ses dessins sans les relier dans un portefeuille, esquisses de composition et études partielles mêlées qu’il en tirera pour faciliter son travail d’invention, comme le rapporte Armenini (Dei veri precetti della pittura , 1584). Lors de leurs déplacements, les artistes ont continué à enregistrer précisément des motifs: aquarelles des sites alpins traversés par Dürer, vues pittoresques des ruines et constructions de Rome de Marteen van Heemsckerck, images tracées à petits traits des antiques du Belvédère et du Capitole de Francisco da Hollanda.Mais trois changements allaient condamner les livres de modèles: la conception de l’art à l’époque moderne qui exigea du peintre qu’il innove au moins en partie et ne reproduise pas un patron déjà employé; le type d’enseignement qui évolua de la pratique purement artisanale de l’atelier à l’enseignement plus structuré et intellectualisé des académies, et le développement de la gravure didactique («principes à dessiner») qui supplanta bientôt ces dessins.
Encyclopédie Universelle. 2012.